“C’est de la folie pure” : l’influenceuse qui murmure à l’oreille des requins


L’eau est d’un bleu profond, et les rayons du soleil y pénètrent comme des feux au milieu de la nuit. Et soudain, surgissent les pupilles noires d’un requin blanc.
N’importe qui partirait en nageant très (très) vite, mais pas Ocean Ramsey. Au contraire, dans une combinaison moirée de reflets d’argent, elle s’avance. Ses palmes ondulent jusqu’au museau du squale. Et là, avec sa main, si petite face à l’immense poisson, elle le caresse.
Pourtant, “pour les spécialistes des animaux, elle cherche surtout à faire parler d’elle. En outre, elle donne une vision romantique de la prise de risque, ce qui met des vies en danger”, avertit le quotidien britannique The Times.

Ancienne mannequin, Ocean Ramsey a eu une brève carrière de cascadeuse à Hollywood, avant de devenir “influenceuse requin”.
Ses vidéos, virales sur Instagram, sont suivies par plus de 2 millions d’abonnés, et un documentaire Netflix à son sujet est sorti le 30 juin dernier.
“Pour ses admirateurs,c’est une héroïne au servicedu bien-être animal.”
Le quotidien britannique The Times
Mais “tous les scientifiques ou défenseurs de l’environnement un peu sérieux vous diront qu’elle fait plus de mal que de bien”, prévient David Shiffman, biologiste marin basé à Washington.

“Les spécialistesde la faune sauvagesont unanimes :il ne faut pastoucher les animaux,un point c’est tout.”
Chris Lowe, biologiste marin et directeur du laboratoire des requins de l’université d’État de Californie à Long Beach, au quotidien britannique The Times.
En fait, les biologistes déconseillent voire dénoncent ce genre de comportement.
Pourquoi ? Parce qu’en voyant cela, “les gens assimilent les animaux sauvages à des animaux domestiques. Or ils ont un comportement complètement différent”, déplore Chris Lowe, biologiste marin à l’Université d’État de Californie.
“Les requins n’ont pasbesoin de câlins,ils ne veulent pasêtre câlinés.Ils ne veulent mêmepas qu’on les touche.C’est vraiment uneattitude irrespectueuse,et complètementirresponsable.Tôt ou tard, quelqu’unva être gravementblessé.”
Chris Lowe, biologiste marin à l’Université d’État de Californie, au quotidien britannique The Times
À cela s’ajoute le risque de mimétisme auquel les vidéos de Ramsey exposent les spectateurs.
Risque dont l’influenceuse se défend, en disant miser sur le “bon sens” de ses abonnés.
“Je ne crois pas que ceux qui regardent des vidéos de moto ou de parachutisme ou de sports extrêmes aient forcément envie d’essayer de faire la même chose”, argue-t-elle.
“Approcher les requinsdans leur milieu naturelreprésente un dangernon seulement pourles baigneurs maiségalement pourles poissons eux-mêmes.Chaque attaque de requin
nuit à la réputationde l’espèce et met en périlles efforts de protection.”
Le quotidien britannique The Times
Pourtant, par ses vidéos de sensibilisation sur le déclin de la population de requins, Ocean Ramsey dit espérer contrecarrer ce que certains scientifiques appellent “l’effet Les Dents de la mer”.
En présentant les requins comme des machines à tuer, le film de Steven Spielberg aurait, d’après les experts, contribué à nuire aux efforts de conservation de l’espèce.

Sorti le 30 juin, En paix avec les requins (Shark Whisperer) est même présenté par Netflix comme un documentaire. Et Ocean Ramsey comme une défenseuse de la vie marine.
Deux éléments que conteste David Shiffmann dans un billet publié le 2 juillet sur Southern Fried Science, un forum consacré à la conservation marine. “Ocean Ramsey se présente comme une spécialiste des requins, mais c’est complètement faux”, dénonce-t-il.
Pour autant, les vidéos d’Ocean Ramsey ne sont pas vaines.
En 2019, d’après le Guardian, elle “a joué un rôle déterminant dans le lobbying en faveur du projet de loi” interdisant totalement la chasse aux requins à Hawaï, qui est ainsi devenu le premier État américain à légiférer en ce sens.

Dans le cas où il lui arriverait malheur, “ce serait entièrement de ma faute”, concède Ocean Ramsey. Pour le coup, les scientifiques auraient du mal à la contredirelà-dessus.—
Courrier International